Traduction: Thierry Deronne (http://ow.ly/sshyF)
En 279 avant Jésus-Crist le roi Pyrrhus défit l’armée romaine lors de la bataille d’Ausculum mais au prix de pertes si grandes parmi ses propres troupes qu’il s’exclama : « une victoire de plus comme celle-là et je serai complètement défait ». Telle est l’origine de l’expression “victoire pyrrhique” qui évoque celle qu’on ne fête pas parce qu’elle annonce une défaite écrasante.
De même, l’éventuelle victoire de Enrique Peña Nieto en matière énergétique au Congrès mexicain pourrait signifier la fin du semblant de démocratie qui a justifié jusqu’ici le maintien au pouvoir d’une classe politique anachronique.
L’élection de Hugo Chávez à la présidence du Venezuela en 1998 fut en grande partie liée à l’ouverture pétrolière mise en oeuvre par ses prédécesseurs Carlos Andrés Pérez (1989-1993) et Rafael Caldera (1994-1999).
L’application aveugle de l’idéologie néo-libérale au secteur des hydrocarbures généra un transfert massif de la rente pétrolière à des entreprises transnationales. Cet événement aggrava simultanément la crise fiscale de l’État et mina la légitimité du semblant de démocratie qui avait gouverné pendant plus de 40 ans à la suite du Pacte de Punto Fijo de 1958. L’indignation sociale croissante et la généralisation de la recherche d’alternatives politiques, créèrent les conditions de la victoire électorale de la révolution bolivarienne de Chávez.
Comme Peña Nieto, ses homologues vénézuéliens Pérez (social-démocrate) et Caldera (démocrate-chrétien) symbolisaient le pire de la vieille classe politique. Tous deux avaient déjà été présidents auparavant : Caldera de 1969 à 1974, et Pérez de 1974 à 1979. À leur retour sur le trône de Miraflores leur orgueil n’avait plus de limites.
Comptant aveuglément sur l’appui de l’oligarchie nationale et de leurs alliés de Washington, ils méprisèrent les protestations sociales et imposèrent avec entêtement leur volonté à la population. Ce fut le pas décisif vers leur défaite.
Au Mexique en 1995, au milieu du désastre économique engendré tant par les politiques économiques néo-libérales de Carlos Salinas que par la corruption sans scrupules d’Ernesto Zedillo, le député fédéral du PRI (Parti Révolutionnaire Institutionnel, NdT) Humberto Roque serra les poings et baissa avec force les deux bras pour exprimer sa joie obscène face au “succès” de l’approbation de l’augmentation de la TVA de 10 à 15 %.
Le geste de Roque fut le prélude à l’historique et temporaire déroute électorale du vieux parti d’État, d’abord aux élections législatives, ensuite pour le poste de chef de gouvernement de la Capitale en 1997 et, finalement aux présidentielles de 2000. La victoire se mua de nouveau en défaite.
Mais les temps de l’innocence démocratique sont loin, où la population canalisait ses espoirs à travers les urnes et cherchait à punir les malfaisants par son vote. Notre inexistante transition démocratique depuis 2000 nous a enseigné qu’une alternance de partis est insuffisante. C’est toute une classe politique qu’il nous faut chasser du pouvoir. Le Mexique est le pays qui souffre du plus haut niveau de déception vis-à-vis du système démocratique dans toute l’Amérique Latine.
Selon le dernier rapport 2013 de Latinobarómetro (disponible ici: http://www.Latinobarometro.org/latContents.jsp), seuls 21 % des mexicains se disent satisfaits du fonctionnement de la démocratie. 37 % des personnes interrogées – l’équivalent de 43 millions de mexicains – disent que la grande majorité ne voit plus la différence entre un régime démocratique et un régime non démocratique. C’est, semble-t-il, le chiffre le plus élevé enregistré à cette deuxième question posée dans les 18 pays étudiés par l’ONG depuis 1995.
Le Mexique enregistre aussi le taux de rejet le plus élevé vis-à-vis des partis politiques existants. Un clair indicateur est que 45% de la population est convaincue que la démocratie peut fonctionner sans partis politiques. Seuls la Colombie, le Paraguay et le Panama s’approchent de ces chiffres, avec respectivement 43 %, 39 % et 38 %.
Certains analystes s’attristent face à ces réponses parce qu’elles signifieraient une faiblesse de la culture politique dans notre pays. Ils interprètent l’énorme déception citoyenne comme un symptôme d’indifférence envers les processus démocratiques, et le rejet des partis politiques comme le résultat d’une carence de valeurs nécessaires pour appuyer les institutions politiques.
En réalité, nous vivons la situation inverse : ces chiffres sont profondément porteurs d’espoir. Ils sont le reflet d’une conscience critique sophistiquée et des hautes attentes du peuple mexicain à l’égard de la vocation réelle du système politique. La majorité des mexicains se rend compte, en effet, que notre démocratie n’a engendré aucun changement pour la grande majorité et ils souhaitent du plus profond de leur être un nouveau système politique qui les prenne en compte et apporte des solutions à leurs besoins fondamentaux. Après tant de simulacres et tant d’impunité, il serait préoccupant que la citoyenneté accepte encore les choses comme elles sont et fasse confiance aveuglément à la classe politique, au lieu d’exprimer son insatisfaction et son exigeance d’un pays meilleur.
Les conditions sont réunies pour que surgissent de nouveaux leaderships politiques qui pourront canaliser pacifiquement l’indignation et les attentes populaires. Comme pour Pirrhus a Ausculum, la prochaine victoire de Peña et la pré-privatisation pétroliere pourraient bien constituer le pas décisif vers la défaite historique de l’autoritarisme renouvelé au Mexique.
Source : La Jornada (Mexique) "Peña entre Pirro y Chávez",http://www.jornada.unam.mx/2013/11/11/opinion/028a2pol
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